Un Pacte Productif aveugle et sourd.
Le gouvernement rêve d’offrir le plein emploi à la France en 2025. Vœu louable dans l’absolu, il devient beaucoup plus pieu lorsqu’on regarde de près la stratégie choisie.
Suite à l’analyse des contributions au Grand Débat National organisé entre début décembre 2018 et début avril 2019, le président de la République a annoncé « un travail de consultation pour bâtir un Pacte Productif avec les entreprises, les industriels, les agriculteurs, les collectivités locales, les Français et la planète » (Edito de Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie et des Finances, dans le dossier de presse du point d’étape des réflexions pour un Pacte Productif, Bercy, le 15 octobre 2019). Dans le même édito, le Ministre rappelle que cette stratégie industrielle doit être compatible avec une économie zéro carbone en 2050 et doit permettre d’atteindre le plein emploi en 2025.
Projet plutôt ambitieux pour lequel j’avais hâte d’en savoir plus. J’ai donc pu assister pendant environ 2 heures, le 15 octobre 2019, à plusieurs interventions au sein du Ministère des Finances à Bercy, présentant un point d’étape dans les réflexions pour la constitution de ce Pacte Productif.
Cette réflexion a été organisée autour de 6 groupes de travail: Agriculture, Numérique, Innovation, Compétence et Industrie. Leurs premiers travaux étaient présentés selon 3 axes très pertinents : Que produit-on ? Comment produit-on ? Comment anticiper les défis des transitions écologiques et numériques ?
D’une nature optimiste, j’étais tout ouïe pour découvrir les idées innovantes qui allaient permettre d’atteindre les objectifs précités. Optimiste mais pas naïf, je ne m’attendais pas à un discours altermondialiste, ni même à la mention de décroissance, mais le défi de la transition écologique étant répété plusieurs fois dans l’introduction, j’avais de l’espoir.
J’aurais dû attacher ma ceinture parce qu’on a alors décollé pour une autre planète, plutôt virtuelle je dirais. Nous n’étions plus dans la réalité et les acteurs sur le podium semblaient en avoir conscience. Je partage ici quelques éléments entendus au cours des interventions qui montrent une inquiétante surdité à toute description du réel.
Un premier intervenant a rappelé en introduction que la France vise à interdire la vente des véhicules à moteur thermique en 2040 mais qu’aujourd’hui, les véhicules à moteur thermique représentent 98% des ventes en France. L’automobile représentant 200 000 emplois en France, il n’est bien entendu pas question de fragiliser ce secteur. Et littéralement 15 minutes plus tard, un autre intervenant précise avec des illustrations très précises qu’historiquement les ruptures fortes de technologie n’ont jamais été développées à l’échelle industrielle par les entreprises précédemment dominantes sur le même secteur. Un peu plus tard dans la matinée, un troisième intervenant indique que 30% des emplois industriels sont en jeu avec la transition vers la mobilité électrique.
Donc si on résume, il faut préserver les emplois actuels dans l’automobile, mais dans la pratique, il est très peu probable que ce soit les mêmes entreprises qui s’imposent dans le secteur (coucou Renault et Peugeot) et dans le meilleur des cas au moins 30% des emplois dans ces entreprises sont menacés. Là on ne touche déjà plus terre puisqu’on se fixe 2 objectifs contradictoires dans les faits. Même si ce n’est pas agréable à entendre, le gouvernement embauche des consultants qui présentent des faits avérés et dans la foulée il prépare un plan qui ne tient pas compte de ces faits.
Bien entendu, les projets industriels présentés au cours de la matinée et la stratégie associée sont cohérents, ambitieux et collent parfaitement aux besoins d’une société qui vise la croissance dans un scénario de développement classique. On entend parler d’Industrie 4.0 et 5.0, d’énergie propre et de nouvelles mobilités qui requièrent des nouveaux développements technologiques dans l’intelligence artificielle, l’internet des objets, l’hydrogène, le solaire, l’éolien, et les véhicules électriques autonomes.
Donc plus la matinée avance, non seulement, j’hallucine un peu sur le fait qu’il n’y ait aucun changement de paradigme dans le discours général mais également parce que les contradictions entre discours consécutifs continuent.
Dans la série d’interventions sur le thème de « Comment produit-on ? » Mme la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, explique clairement que l’automatisation va impacter jusqu’à un tiers des tâches de 66% des actifs. La bonne nouvelle c’est que moins de 10% des métiers sont automatisables à 90%. Vous pouvez en déduire comme Mme Pénicaud l’a fait qu’il y aura besoin d’une transformation énorme des compétences des salariés.
Si vous ne l’avez pas senti venir, je ne fais pas durer le suspense. L’intervenant juste après la Ministre, consultant de haut niveau d’un grand cabinet d’envergure mondiale, commence par expliquer que toute transformation forte du marché du travail entraine une augmentation des inégalités. Les inégalités c’est ce petit truc de rien du tout qui a entrainé une accumulation des richesses du pays dans les mains d’une minorité et qui a amené des personnes qui n’avait jamais manifesté à descendre dans la rue et sur les ronds-points avec des jolis gilets jaunes saillants. Donc, on va révolutionner la production industrielle en France mais il y a des grandes chances que beaucoup de personnes perdent leur travail et n’ait pas les compétences pour en retrouver un autre équivalent, et donc qu’ils perdent drastiquement en pouvoir d’achat, d’où l’augmentation des inégalités. Mais on se cache les yeux et les oreilles pour éviter les faits parce qu’ils sont désagréables à entendre et demanderait de revoir entièrement notre grille de lecture économique.
Autre incohérence flagrante sur le sujet de l’agriculture abordé sur la thématique du « Que produira-t-on ? ». On apprend que l’agriculture est un cas d’école intéressant puisque ce secteur présente une situation de plein emploi mais avec un problème réel de recrutement. Et je rajouterais qu’une récente rencontre avec des agriculteurs m’a appris que près de 50% des agriculteurs devraient partir à la retraite d’ici 2025, voire même un tiers d’ici 3 ans. Il y aura donc un besoin d’engagement massif dans la formation et la reconversion vers le secteur de l’agriculture. Quelle solution est présentée pour le Pacte Productif ? Un tryptique Compétitivité/Recherche et Innovation/Agro-écologie, avec le besoin de développement d’une filière en agro-équipement. Donc on répond à un défi humain avec de l’économique, de la science et de la technologie. J’adore la technologie mais il faut que ce gouvernement réalise enfin qu’elle ne résout pas tous les problèmes et rarement les problèmes de ressources humaines. La mécanisation et l’automatisation ne peuvent pas tout et surement pas redonner du sens et de l’attractivité à une activité économique essentielle telle que l’agriculture.
Oui, nous avons besoin qu’une agriculture plus écologique assure des rendements significatifs pour nourrir le pays mais pas pour viser absolument une exportation rentable en compétition avec les autres pays. Le gouvernement croit être progressiste avec cette philosophie alors qu’elle correspond à une vision du passé, aveugle et sourde au présent et aux vrais défis auxquels nous sommes déjà confrontés. Nous devons retrouver une plus grande autosuffisance alimentaire et cela ne passe pas par la production de plus grands volumes de monocultures.
Dans la même veine, Mme Pénicaud met en avant qu’il manque environ 20 000 ouvriers qualifiés par an dans le secteur du bâtiment. Ces ouvriers qui sont indispensables entre autre pour appliquer le programme urgemment nécessaire de rénovation énergétique des anciens logements à travers le pays.
Donc si les objectifs principaux sont bien le plein emploi en 2025 et la neutralité carbone en 2050, il me semble que s’atteler à la formation et surtout l’attractivité des secteurs de l’agriculture (18% des émissions de CO2) et de la rénovation des bâtiments (le bâtiment dans son ensemble représente 18% des émissions de CO2 également) sont bien plus une priorité que de développer encore de nouveaux programmes d’intelligence artificielle. La réponse principale que j’aurais souhaité entendre pour la thématique « Que produit-on ? » aurait dû être « De quoi avons-nous besoin dans le pays pour un plus haut niveau d’autosuffisance ? » et pas « Qu’est-ce qu’on pourrait vendre au monde ? ».
Le discours final de Bruno Le Maire, Ministre des Finances, m’a redonné un peu d’espoir, à ma grande surprise, même si bien sûr la philosophie générale était la même. On notera tout de même que le gouvernement ne souhaite pas atteindre ses objectifs par la casse sociale. Le Ministre a donc écarté les solutions anglaises et allemandes des contrats 0 heures (description de ce type de contrats ici) et des mini-jobs (description des mini-jobs allemands ici ) pour ma plus grande joie. Oui, je me satisfais parfois de petites victoires.
Le Ministre Le Maire a également fait la promotion d’une taxe carbone aux frontières européennes et sur les moyens de transport les plus polluants partant du constat que le bilan carbone de la France augmente principalement à cause des importations. Très bonne idée dans les faits, j’aurais aimé qu’il aille jusqu’au bout de son raisonnement dans la logique du capitalisme néo-libéral sur laquelle est basée aujourd’hui le commerce mondial. Les importations de biens hors Union Européenne de la France viennent principalement de Chine (Les chiffres fournis par l’INSEE pays par pays ici). Si l’on reste dans la même logique économique, combien de temps il va falloir à la Chine pour imposer des taxes douanières plus élevées aux produits français ou européens si l’on applique une taxe carbone qui va principalement impacter la production chinoise ? Les Etats Unis et la Chine mène exactement cette bataille depuis environ 1 an. Essayant de voir le positif, ce pourrait être un évènement déclencheur d’une baisse de la production de produits pour l’export pour revenir à une production focalisée sur nos besoins et pas vers le profit. Mais si l’on ne fait que subir cette situation quand elle nous tombera dessus, ce sera une transition dans la douleur.
Le Président de la République présentera début 2020 théoriquement la stratégie collective qui inclura ce Pacte Productif visant le plein emploi en 2025. Si les propositions résultant de ces réflexions sur le Pacte Productif sont aussi aveugles et sourdes à la réalité de la convergence de crises que nous vivons, nous serons toujours dans la même voiture, thermique, à 150km/h en direction d’un mur. Aucune technologie miracle ne saura nous sauver alors exhortons le gouvernement à changer sa grille de lecture de l’économie en mettant le profit financier en annexe de ses objectifs.
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