En 2001, j’étais étudiant en thèse à l’Université de Washington à Seattle aux Etats Unis, dans le département d’océanographie physique. Pour vous donner quelques repères, l’océanographie physique est l’étude des phénomènes physiques qui régissent la dynamique des océans. Cela inclut l’étude des courants marins, des vagues et bien sûr des interactions avec l’atmosphère qui joue un rôle clef dans la dynamique des océans. Même si mes études incluaient peu d’analyse des phénomènes prenant place sur la terre ferme, nous étions rapidement amenés à nous intéresser au sujet clef qui occupait déjà beaucoup de chercheurs au tout début des années 2000, le réchauffement climatique à l’échelle globale. Les océans recouvrant 72% de la surface du globe, ils jouent un rôle essentiel dans la dynamique du réchauffement climatique entre autre en tant qu’indicateur des changements en cours.
Il faut se souvenir qu’il y a 20 ans, le réchauffement climatique était déjà un sujet d’actualité dont une grande partie de la population avait entendu parler mais avec une compréhension beaucoup plus flou qu’aujourd’hui. D’autant plus aux Etats Unis où le lobbying des groupes pétroliers était extrêmement actif pour minimiser l’importance du réchauffement climatique.
Au niveau gouvernemental, il n’en résultait pas un déni complet du phénomène mais des doutes et une conviction que la technologie aurait la capacité de résoudre le problème. Ce dernier point n’a d’ailleurs pas tellement changé jusqu’à aujourd’hui aux Etats Unis.
C’est dans cette ambiance qu’un étudiant journaliste avait écrit un article dans le quotidien de l’université présentant le réchauffement climatique comme un phénomène plutôt positif puisque les températures plus clémentes seraient les bienvenues dans notre région du Nord-Ouest des Etats Unis et qu’elles apporteraient dans certaines régions du monde une augmentation du rendement des productions agricoles. Le premier point était une conclusion erronée mais le deuxième point se trouve être avéré.
Ce n’est donc pas tant le fait que le jeune journaliste avait une vision en partie fausse des impacts potentiels du réchauffement climatique qui m’avait choqué mais le fait qu’il minimisait les impacts en ne regardant que les cas particuliers qui convenaient à sa vision du monde. Et il en avait rajouté une couche en indiquant, que de toute façon, il y avait surement des incertitudes dans les résultats des chercheurs donc ils s’excitaient surement pour pas grand-chose.
Ne pas faire son travail de journaliste, d’autant plus sur un sujet scientifique dans une université remplie de chercheurs qui auraient pu l’informer, était déjà une faute basique mais pardonnable pour un jeune journaliste. Par contre, remettre en cause le sérieux des scientifiques sur leur méthode de travail me paraissait extrêmement choquant. Penser que les chercheurs ne font pas d’estimation de l’incertitude sur leurs calculs démontre une méconnaissance totale de l’approche scientifique. Et j’ai pu entendre depuis cet épisode, dans différents cercles et à de nombreuses reprises, une description des scientifiques plus proches de l’alchimiste que de l’expert dont chaque résultat est relu, revu et corrigé avant publication.
Vous verrez donc dans le 1er article présenté ci-dessous mon courroux vis-à-vis du journaliste qui informait environ 30 000 personnes par le biais de ce journal, et dans le 2ème article ma tentative d’explication de certaines techniques scientifiques appliquées dans le cadre de la climatologie et une défense de la rigueur des scientifiques pour qui le calcul de l’incertitude compte autant que le calcul du résultat principal.
Le point de vue de ce jeune journaliste, qui j’ai découvert était à l’époque beaucoup plus répandu que je ne l’imaginais, était déjà peut être un symptôme de la remise en cause des élites et des experts que nous observons de manière flagrante aujourd’hui. Ceci est d’autant plus amplifié pour l’image des scientifiques que l’on observe un phénomène assez généralisé de désintérêt pour les sciences ‘dures’ dans la plupart des universités occidentales. Il en découle nécessairement une diminution de la culture générale scientifique dans la population qui alimente la défiance vis-à-vis de ce type d’experts.
Cet épisode de ma vie qui pourrait paraître anecdotique revu 20 ans plus tard contient en fait concentré en lui, deux des symptômes les plus importants expliquant les dysfonctionnements de notre société actuelle : le réchauffement climatique et la défiance vis-à-vis des experts. Un phénomène physique et l’autre sociologique pourrait sembler aussi opposé que possible mais ils se télescopent de manière évidente maintenant que nous devons agir urgemment pour résoudre le premier.
Etant peu convaincu que nous pourrons nous attaquer à la problématique du réchauffement climatique sans entrainer toute la population dans le changement de société nécessaire, la problématique sociologique devient donc primordiale et doit donc mobiliser tout autant d’énergie et de réflexion que l’analyse des phénomènes physiques en jeu.
Cela fait donc 20 ans que je suis les évolutions des études sur le réchauffement climatique, mais il m’apparait aujourd’hui plus clairement que si vous souhaitez apporter votre pierre à la construction d’une nouvelle vision du monde, qui permettra de vivre dans des conditions soutenables, il est nécessaire de mieux connaitre et comprendre la population de votre propre pays confrontée aux différentes crises contemporaines.