Une journée chez les Verts

Le 21 août dernier, je me suis rendu aux Journées d’Eté des Ecologistes (JDE), le rendez-vous des adhérents et sympathisants d’Europe Ecologie-Les Verts. Cet évènement se tenait sur 3 jours à la Friche un site en transition situé à Pantin en proche banlieue parisienne.

Les JDE propose un grand nombre d’ateliers avec des experts et des élus qui viennent partager leurs idées et leurs expériences. Guidés par mes goûts, j’ai assisté à deux ateliers sur l’économie. Le premier concentré sur le sujet de la dette et le second sur le Revenu de Transition Ecologique. Les deux ateliers étaient passionnants avec des intervenants au fait de leur sujet et avec des informations concrètes.

Avant de vous parler de ces ateliers, je me dois de faire un petit détour par le sujet des élections qui étaient sur toutes les lèvres. En 2021, les élections régionales et départementales se profilent, alors que dès 2022 arrive l’élection présidentielle. Les conversations, que dis-je, les tractations pour les différentes positions sur les listes de candidatures aux régionales, battaient leur plein. Fort de ses succès aux récentes élections municipales, le parti EELV se sent pousser des ailes et tout le monde veut participer à la fête. Même si les élections municipales et régionales sont très importantes, n’étant pas convaincu par la prise de conscience écologique de M. Macron, je souhaiterais voir au pouvoir un vrai gouvernement écologiste représentant une union des parties de gauche. Les discussions sont parait-il très actives mais j’ai peur d’être un peu pessimiste sur le succès de cette union à cause d’une guerre d’égo qui ne devrait pas avoir sa place au regard de la convergence des crises que nous traversons.

On annonce d’un côté que Yannick Jadot, eurodéputé, et Eric Piolle, maire de Grenoble,  sont déjà lancés dans la course. « Yannick Jadot fera moins peur à Mme Michu qui vote plutôt à droite mais est tentée par le vote écologiste ».  « Je ne suis pas d’accord avec toi, Jadot est eurodéputé, peu de gens le connaissent. Piolle en tant que maire occupe un poste très concret pour les électeurs, dont Mme Michu ». L’objectif étant de pouvoir récolter des voix des électeurs parti LREM penchant à gauche mais idéalement aussi une partie de ceux penchant à droite, on recherche le candidat assez consensuel mais qui ne fera pas trop de compromis, et le débat ne fait que commencer.

D’un autre côté, j’entends aussi l’envie d’une candidature féminine et les noms de Delphine Batho ou Anne Hidalgo circulent même si elles n’ont pas annoncées officiellement leur intérêt. J’ai même entendu le rêve d’une candidature hybride à quatre têtes: Jadot/Piolle/Batho/Hidalgo. Cette candidature respecterait la parité et résoudrait la quadrature du cercle du respect des différentes sensibilités de la gauche écologiste. Cette candidature hybride prendrait soit la forme d’une expérience génétique (interdite par la loi à ce jour donc on peut l’écarter rapidement), soit d’un accord officiel de collaboration forte au sein du futur gouvernement qui modifierait rapidement la constitution pour redonner plus de pouvoir au Parlement et minimiserait ainsi le rôle du Président.

Je n’inclus pas la France Insoumise dans cette discussion puisque le parti semble s’exclure de lui-même, pour cause de divergences idéologiques trop grandes, ou alors peut être que M. Mélenchon ne peut imaginer laisser sa place en tant que candidat.

Je m’inquiète aujourd’hui du fait de n’entendre que peu parler du projet EELV à porter aux niveaux régionale et nationale et qu’une guerre d’égos freine ou même empêche le rassemblement nécessaire derrière un.e seul.e candidat.e qui portera vraiment l’écologie au niveau national et européen. La convergence des crises a déjà commencé à impacter nos vies. Nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d’une guerre entre les personnalités. Un candidat pertinent doit se positionner clairement dans le paysage politique, pour porter un projet en construction qui fera son programme. Le temps presse.

Sur un rythme plus posé, je partage avec vous maintenant ce que j’ai pu apprendre aux cours des deux ateliers auxquels j’ai assisté.

Le premier atelier sur la dette donnait la parole à Anne-Laure Delatte (Conseillère scientifique au Cepii, chargée de recherche au CNRS, chroniqueuse pour Libération, membre du comité scientifique de la Fondation Banque de France, membre du Conseil d’Analyse Économique de 2017 à 2019) et Michael Vincent (Expert des questions d’économie et de stabilité financière, enseignant à la Sorbonne, président de l’ONG Greentervention).

Anne-Laure Delatte soulève le débat de l’annulation de la dette comme débat spécifique à la gauche politique française qu’elle n’entend pas ou peu dans le monde académique ou dans les autres pays. Cela ne lui semble pas réaliste et elle indique qu’un effacement de la dette ne serait jamais arrivé dans l’histoire, ce qui me semble erroné, étant donné que des dettes de pays en voie de développement ont déjà été annulées au cours du 20ème siècle (voir section 2.1.4 de cette article : https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2010-1-page-5.htm ).

Une autre manière de ‘réduire’ la dette implique de passer par le biais de l’inflation. Si les prix augmentent dans le temps, la dette que vous avez contracté dans le passé baisse en valeur et est donc moins cher à rembourser avec des euros d’aujourd’hui.

Avec la crise du COVID-19, la dette française devrait passer de 100% à 120% du PIB. Anne-Laure Delatte rapporte que l’Etat souhaiterait rester autour des 100% du PIB en termes de dette et réfléchit à des solutions assez radicales comme l’augmentation de la TVA ou la création d’un équivalent de la CRDS qui vise à résorber la dette des organismes de la sécurité sociale. Dans le modèle de la CRDS, l’idée est de créer une caisse dans laquelle ces 20% supplémentaires de dette serait inscrit au passif, et la création d’une nouvelle taxe viendrait progressivement rembourser la dette.

Cette approche est particulière injuste, comme l’indique Mme Delatte, parce que la TVA ou la CRDS sont des taxes à taux fixe. C’est-à-dire que tout le monde paye le même pourcentage. Pour rappel, un taux fixe est injuste parce que, en prenant des chiffres ronds pour rendre le propos plus clair, si vous prélevez 10% à quelqu’un qui gagne 1000€/mois, l’impact est beaucoup plus grand sur le niveau de vie que pour quelqu’un qui  gagne 10 000€/mois.

Mme Delatte dans le cadre d’une réflexion sur le sujet de la dette, des inégalités et de la démocratie en Europe collabore avec 6 autres universitaires pour proposer une autre approche.

On constate que les grands bénéficiaires de la croissance, et même de la crise actuelle sont les très hauts revenus et les grandes entreprises. Anne-Laure Delatte prône donc une approche plus classique par le biais d’impôts supplémentaires sur les très hauts revenus qui permettrait de rembourser cette dette. Elle rappelle à juste titre que tout au cours des 30 glorieuses la tranche supérieure de l’impôt en France était beaucoup plus élevé que maintenant, surtout depuis que l’impôt sur la fortune (ISF) a été vidé de son sens par le Président Macron en retirant les actions de son assiette de calcul.

A noter que à ce jour, la Banque Centrale Européenne (BCE) détient 20% de la dette de la France mais la BCE n’est pas un agent comme les autres. Détenir de nombreuses dettes ne pose pas de problème pour le bilan de la BCE.

Michael Vincent, met lui plus en avant, l’utilisation qui a été faite de cette dette contractée ces derniers années.

Il rappelle qu’on arrive à 120% du PIB de dette combiné à 10 ans de politique monétaire active, ce qu’on appelle quantitative easing, ou assouplissement quantitatif en français, c’est-à-dire des achats d’obligations d’entreprises privées et des taux d’intérêt d’emprunt très bas. Il fait le constat que cette politique permet de garder l’économie à flot en perfusant des entreprises ‘zombies’ qui ne survivent plus que grâce à la dette. Beaucoup d’économistes s’inquiètent d’une crise de la dette des entreprises privées, après la crise de la dette des particuliers que constituait la crise de 2008.  

L’économie reste à flot mais n’améliore que peu ou pas la situation du grand public. Cette politique monétaire devrait aussi toucher le grand public mais le canal bancaire qui devrait accorder plus de prêts aux PME et au grand public est cassé parce qu’elles pensent qu’il est trop risqué de prêter à ces acteurs.

Les grandes entreprises qui ont pu accéder à ces liquidités n’ont utilisé que 3% des gains pour investir dans l’avenir. Elles se sont surtout refait une trésorerie plutôt que d’augmenter les salaires ou d’investir dans des améliorations des outils de production en accord avec les défis que nous traversons.

En parallèle, du coté des finances publiques, l’approche de l’austérité a été suivi pendant bien trop longtemps après 2008 dans toute la zone Euro avec un investissement public proche de zéro. Les infrastructures qui constituent les actifs d’un pays, son patrimoine commun, et donc le seul patrimoine des moins fortunés, ne cesse de s’éroder.

Michael Vincent rappelle qu’on pourrait distinguer les dettes et parler de ‘bonne’ dette si elle était dirigée vers des investissements dans la transition écologique. M. Vincent précise également qu’il serait pertinent d’assouplir la règle européenne qui impose que le déficit budgétaire d’un pays ne dépasse pas 3% de son PIB, pour sortir du calcul du déficit les investissements à visée écologique sur le long terme.

Pour information, ce débat est déjà lancé au niveau européen mais les discussions sont intenses pour définir le périmètre des investissements ‘écologiques’.

Le revenu de transition écologique

Au cours d’un deuxième atelier, j’ai pu écouter la présentation de Mme Sophie Swaton sur le concept de revenu de transition écologique. Sophie Swaton, philosophe et économiste,  est maître d’enseignement et de recherche à l’Institut de géographie et de durabilité de l’Université de Lausanne.

Elle travaille depuis plusieurs années sur le concept de Revenu de Transition Ecologique (RTE) et a même pu lancer plusieurs expérimentations dans des départements français.

Le RTE se décline en trois axes:

  • Un revenu monétaire
  • Un dispositif d’accompagnement
  • L’adhésion à une structure démocratique (par exemple une coopérative de transition écologique)

Vous trouverez plus de détails sur le RTE sur le site de la fondation ZOEIN qui soutient le projet.

En quelques mots, le revenu de transition écologique est un dispositif visant à verser un revenu à des personnes physiques, en contrepartie d’activités orientées vers l’écologie et le lien social.

L’idée est d’accompagner l’installation et le développement d’une activité avec un impact écologique positif. L’accompagnement est fourni sous forme de conseils et sous formes d’un revenu régulier. Dans le but de renforcer l’accompagnement, le concept inclut le développement de coopérative de transition écologique (CTE) au sein desquels seront réunis plusieurs activités soutenus par le RTE et qui créé un réseau avec tous les acteurs concernés sur le territoire. Ce réseau composé de citoyens, d’associations, de collectivités et d’entreprises apporte un soutien indispensable au développement de ces activités naissantes et encore trop peu valorisées.

Les objectifs des coopératives de transition écologique sont les suivants :

  • Développer la formation écologique et l’insertion sociale locale
  • Renforcer l’autonomie des individus
  • Valoriser les richesses produites localement
  • Prioriser l’usage à la possession
  • Soutenir la création d’activités marchandes et non marchandes
  • Mener des campagnes de sensibilisation à l’urgence écologique

Seuls les membres ou employés des structures qui font partie de la coopérative peuvent être soutenus par un revenu de transition écologique. Concrètement, une personne qui souhaite changer d’activité professionnelle prendra conseil auprès de la coopérative, qui évaluera le projet et fournira le cas échéant un accompagnement adapté (formation, réseau, revenu monétaire).

L’illustration ci-dessous résumé le principe du RTE et des CTE.

Cette initiative me semble très louable et alimente les différentes réflexions sur la notion de revenu et son lien avec l’emploi.

La proposition du RTE rejoint, sur le principe, l’expérimentation en cours de  Territoire Zéro Chômeur Longue Durée (TZCLD) avec pour différence principale que le principe RTE/CTE met l’accent sur la valorisation d’activités avec un impact écologique positif.

Par comparaison, les projets TZCLD créé des Entreprises à But d’Emploi (EBE) qui embauchent les personnes durablement éloignées de l’emploi, puis les accompagnent dans la mise en place d’une activité qui vise à devenir rémunératrice à terme. Cette activité résulte de l’identification de besoins locaux en impliquant au maximum les acteurs du territoire, habitants, entreprises et institutions par exemple, et bien sur le salarié puisque ses compétences doivent être prises en compte. Il faut noter que l’activité identifiée ne doit pas être concurrente d’une activité existante.

Ces deux expérimentations, RTE/CTE et TZCLD, sont très intéressantes sur le principe en combinant la sécurité financière, ce qui enlève la charge mentale associée aux personnes salariées, la création de lien social au sein des organisations fédératrices (CTE ou EBE), et le développement d’une activité.

J’ai bien sur un intérêt plus fort pour le RTE qui ajoute le facteur écologique dans les activités créées ce qui me semble indispensable.

Cependant, une première analyse des activités créées semblent montrer que ce sont des micro-activités dans un esprit entrepeneurial. Même si les organisations qui accompagnent le développement de ces activités jouent le rôle d’entreprise centrale qui évite le risque d’isolement de l’entrepreneur qui se lance, le modèle sous-jacent semble être celui de l’entrepreneuriat. Ayant plusieurs expériences d’entrepreneur, je n’ai aucune réticence envers ce modèle mais il ne me semble pas réaliste à grande échelle parce que la très grande majorité de la population n’a pas la fibre entrepreneuriale. Faire partie d’une entreprise, c’est aussi un état d’esprit  autour du développement d’une activité vers un objectif commun qui permet de construire ensemble une offre pertinente, d’apprendre les uns des autres et de combiner ses efforts et compétences pour élaborer des projets plus ambitieux que lorsqu’on travaille seul. Le rassemblement de plusieurs activités au sein d’une même organisation permet de créer un esprit de groupe mais pas nécessairement un esprit d’entreprise.

Ces expérimentations restent très innovantes et j’espère avoir l’opportunité prochainement de visiter une Entreprise à But d’Emploi pour rencontrer les personnes impliquées et me faire un avis plus concret sur ses avantages et inconvénients.

2 comments

  1. Merci Jérôme pour l’article. Tu abordes le sujet de la dette… Mais est-ce que la vraie question n’est pas le sujet de la création monétaire et du quasi monopole des banques sur ce point ? Est-ce que ce système est compatible avec un Etat Stratège qui organise une redirection écologique ? Je n’ai pas les connaissances économiques pour étudier tout ça, j’ai juste l’impression qu’on a un paradigme à changer… J’adorerai que tu partages ton opinion sur ce sujet.

    1. CathyB,
      La France est aujourd’hui dépendante de la BCE pour la création monétaire qui se fait quasiment exclusivement par l’achat d’obligations et la baisse des taux d’intérêt. Nous n’avons pas encore de plan concret de monnaie ‘hélicoptère’ qui atteindrait directement la population.
      Le problème de la BCE est que nous devons nous mettre d’accord avec 26 autres pays pour émettre des recommandations, qu’elle n’est d’ailleurs pas obligé de suivre, si je ne me trompes pas, puisqu’elle doit théoriquement rester neutre et suivre ses objectifs premiers de stabilisation de l’économie selon ses analyses.
      Ne plus avoir de controle direct sur notre monnaie est un handicap pour lancer une redirection écologique rapide.

      Le fait que le controle de la monnaie soit détenu par une banque n’a posé que peu de problème lorsque c’était la Banque de France parce qu’elle a été nationalisé en 1946 (mais est redevenu ‘indépendante’ en 1993), entre autre pour les décisions de dévalorisation qui sont arrivés plus souvent qu’on ne le croit (2 en 1958 et 1 en 1969, puis 1981, 1982 et 1986 rien que sous la 5ème république).
      L’indépendance de ce type de banque (ce qui est le cas également pour la BCE) doit théoriquement leur permettre de se focaliser sur les dynamiques économiques long terme, dont la stabilisation des prix.
      Nous sommes cependant dans une période atypique puisque nous avons besoin de beaucoup d’argent dès maintenant mais dans le cadre d’une politique long terme vis à vis des multiples crises dont le changement climatique.
      Je ne pense donc pas que le véhicule ‘banque’ soit un problème mais c’est ce qu’on en fait et à quel échelon (national ou européen) qui est crucial.

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