Si la température ne nous convient pas, il est inutile de changer de thermomètre

Notre président et son gouvernement se sont enorgueillis le 7 février dernier du dépassement de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2019. Selon la déclaration officielle : « Le niveau d’émissions de 2019 montre donc que le budget carbone de la Stratégie Nationale Bas Carbone est respecté […], et que la baisse 2019/2018 est supérieure à la baisse moyenne attendue par la trajectoire de la SNBC entre ces deux années (-1,5 % par an). »

Cet évènement à priori plutôt positif est en fait un scandale de communication sur le climat. Dans cette période troublée, nous avons plus que jamais besoin de transparence de la part du gouvernement pour que chacun d’entre nous puisse s’approprier les enjeux. Je décortique dans cet article les chiffres derrière cette erreur de communication flagrante sur les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre en France mais je soulève également le sujet du calcul de l’empreinte carbone qui a récemment été modifiée avec à nouveau un total manque de transparence. Dans ce cas, c’est l’absence de communication qui fut une erreur de communication.

Commencons par les objectifs français d’émissions de gaz à effet de serre. Pour bien comprendre le contexte, il nous faut remonter 5 ans et 1 an en arrière. En août 2015, le gouvernement sous la présidence de François Hollande définit une feuille de route pour la France concernant ses émissions de gaz à effet de serre, appelée Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Cette feuille de route a été officialisée suite à la réunion COP 21 tenue à Paris dont a découlé le fameux Accord de Paris.

Cette stratégie nationale définit entre autres les objectifs de réduction des émissions sur plusieurs phases temporelles (2015-2018, 2019-2023 et 2024-2028) sous forme de budgets carbone correspondant à un plafond à ne pas dépasser annuellement. Cette première mouture de la SNBC a été mise à jour en mars 2020 avec une deuxième version qui a rajouté un budget carbone pour une période supplémentaire (2029 – 2033) mais surtout, et c’est ce qui nous intéresse aujourd’hui, qui a révisé les budgets carbone pour les périodes 2019-2023 et 2024-2028. A noter que cette nouvelle version officialise également l’objectif de neutralité carbone de la France en 2050, ce qui n’était pas explicité dans la première version de la SNBC.

Penchons-nous alors sur les budgets carbones révisés un peu plus en détail.

Figure 1: Objectifs de plafond d’émission de gaz à effet de serre (GES). Toutes les valeurs d’émissions sont en millions de tonnes de CO2 équivalent. SNBC 1 : stratégie nationale bas carbone 1ère version publiée en 2015. SNBC 2 : stratégie nationale bas carbone  2ème  version publiée en 2020. Source : SNBC 1, SNBC 2, CITEPA

Vous pouvez voir dans la première colonne du tableau que pour 2019 le plafond d’émissions de GES fixé pour objectif est de 417 millions de tonnes de CO2 équivalent (MtCO2eq) dans la première Stratégie Nationale Bas Carbone. Par comparaison avec les émissions réelles (3ème colonne), on voit rapidement que nous n’avons jamais respecté les objectifs que nous nous sommes fixés pour atteindre un décalage de 20 MtCO2eq en 2019.

Vous pouvez ensuite voir que la version 2 de la SNBC officialisée en mars 2020 fixait pour 2019 un plafond à 443 MtCO2eq, un niveau supérieur de 26 MtCO2eq au niveau fixé dans la SNBC 1. Il faut reconnaitre que lorsque la SNBC 2 a été conçu dans le courant de l’année 2019 et finalisée début 2020, les chiffres des émissions pour 2019 n’étaient pas encore disponibles. Une première estimation est généralement produite au début de l’année qui suit, mais le chiffre confirmé est en général obtenu au milieu de l’année. Il faut également reconnaitre que dès la SNBC 1, il était prévu d’effectuer une revue et potentiellement une révision de la stratégie tous les 5 ans.

Après avoir dit cela, la révision de la SNBC était clairement motivée par le retard sur les objectifs d’émission qui n’a cessé de s’accumuler depuis 2015. La déclaration du gouvernement sur le relatif succès est donc choquante surtout par son manque de transparence. Manque de transparence sur le fait que les objectifs ont été modifiés pour se donner de la marge, que la marge ajoutée est très significative, que l’objectif fixé de réduction en pourcentage pour 2019 (-1,5%) est faux et que ce relatif succès nous entraine vers des désillusions très rapidement.

Pour apporter une précision sur l’objectif de réduction en pourcentage, il faut relire la phrase du communiqué : « … que la baisse 2019/2018 est supérieure à la baisse moyenne attendue par la trajectoire de la SNBC entre ces deux années (-1,5 % par an). ». J’ai trituré les chiffres dans tous les sens et je ne comprends pas ce qu’ils appellent « la baisse moyenne attendue ». Si vous comparez les émissions de 2018 (445 MtCO2eq) avec l’objectif SNBC 2 de 2019 (443 MtCO2eq), la diminution attendue n’était que de -0,45%. Je pense sincèrement que les communicants du gouvernement se sont dit qu’annoncer que nous avions dépassé l’objectif de 1,25 point aurait paru louche et aurait demandé beaucoup d’explications. La comparaison entre 1,5% et 1,7% était plus facile à faire passer.

Ces éléments de langage pour nous faire passer pour des champions va rapidement entrainer des désillusions étant donné que nous avons accumulé du retard sur les années précédentes. L’objectif final de neutralité carbone en 2050 ne pouvant changer, les réductions attendues pour les années à venir vont nécessairement augmenter. Comme vous le voyez dans le tableau ci-dessus, les réductions dans la SNBC 1 étaient de l’ordre de -2% chaque année. Pour la SNBC 2, les réductions sont égales ou supérieures à -3% nécessitant des actions de transformation/redirection écologique beaucoup plus intenses. Nous avons la chance/le malheur que le COVID soit passé par là et nous permettent déjà d’estimer que en 2020 les objectifs seront largement dépassé d’autant que la réduction attendue était en dessous de -2%.

Empreinte carbone

Dans la même lignée, une autre information récente concernant les émissions de gaz à effet de serre est totalement passée inaperçue. Cette information ne cache pas semble-t-il de tromperie mais met en exergue l’importance de la transparence sur les calculs de notre impact sur l’environnement pour mieux planifier les transformations requises.

En décembre 2020, le Ministère de la Transition Ecologique a présenté une nouvelle méthode de calcul de l’empreinte carbone de la France qui a modifié les chiffres de manière significative. L’empreinte carbone d’un pays est la mesure des émissions de gaz à effet de serre dû à toutes les activités dans le pays auxquelles on ajoute une partie des émissions associées aux produits que nous importons en France depuis l’étranger.

En janvier 2020, le ministère considérait que l’empreinte carbone par habitant était de 11,2 tonnes de CO2eq (tCO2eq) par habitant pour l’année 2018 (voir  Figure 2 – triangles oranges). Suite à la révision de la méthodologie de calcul, les chiffres publiés en décembre 2020 ramène l’empreinte carbone par habitant à 9,7 tonnes de CO2eq (tCO2eq) par habitant pour l’année 2018 (voir  Figure 3).

Figure 2: Gauche: Emissions de GES de l’empreinte carbone estimées en janvier 2020. Source: Rapport du Ministère de la Transition Ecologique  . Droite: Budget carbone national.

Figure 3 : Emissions de GES de l’empreinte carbone estimées en janvier 2020. Source: Ministère de la Transition Ecologique

Il est important de comprendre dès maintenant que le calcul de l’empreinte carbone est un calcul complexe parce qu’il requiert des données de sources très diverses dont certaines proviennent d’institutions européennes et internationales qui doivent collecter toutes ces données détaillées avant de pouvoir les partager. Parce que cette collecte est longue et ardue, le Ministère de la Transition Ecologique ne peut produire un calcul consolidé de l’empreinte carbone que 4 ans après que l’année soit écoulée. A ce jour (mars 2021) par exemple, la dernière année consolidée à disposition est l’année 2016. Pour les années intermédiaires de 2017 à 2019, les agents du Ministère doivent faire des estimations à partir des chiffres à leur disposition ce qui explique le ‘e’ que vous retrouvez derrière les chiffres de l’année en abscisse sur les figures ci-dessus. Nous manquons un peu de recul sur cette approche pour estimer la fiabilité de ces estimations.

Donc en décembre 2020, le Ministère a décidé de modifier sa méthode de calcul ce qui a affecté les résultats pour les émissions sur les années 2017 à 2019.

Voici le point essentiel mis en avant dans le changement de méthodologie :

Etant donné que j’étais surpris par la réduction de plus d’une tonne dans le résultat pour 2018 avec cette nouvelle méthode, j’ai contacté l’auteur de la note méthodologique au Ministère qui a répondu très rapidement. Il m’a expliqué que un tiers de la réduction provient de l’actualisation des données (estimations fondées sur les chiffres de 2016 et non plus les chiffres de 2014) et deux tiers de la réduction provient de la prise en compte de l’évolution de l’intensité en GES des branches d’activité. Cette évolution de l’intensité en gaz à effet de serre traduit les améliorations technologiques mises en place dans les différentes industries en France et à l’étranger pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre à niveau de production égal.

L’auteur m’a également précisé que l’intensité en émissions des branches est calculée grâce aux données de production en valeur par branche d’activité (source : Insee pour la France et Eurostat pour l’UE) et aux données d’émissions issues des comptes d’émissions dans l’air (source : Eurostat). Pour les pays hors Europe, les estimations sont effectuées pour des grandes régions du monde par comparaison et application d’un ratio par rapport aux chiffres européens. Un exemple basé sur des chiffres fictifs (exemple fourni par le Ministère):

  • L’intensité de la production d’électricité de l’UE est de 200 g/€.
  • l’AIE (Agence internationale de l’énergie) indique que l’UE émet 500g de CO2 par kWh et que l’Asie émet 1000 g de CO2 par kWh produit.
  • L’intensité de la production en électricité de l’Asie est ainsi estimée à (1000g/500g) x 200g/€ = 400g/€ .

La diminution obtenue sur l’empreinte carbone vient donc principalement des améliorations technologiques des différentes industries. Il est encore complexe d’aggreger ce type d’information à l’échelle mondiale ce qui en fait encore un travail en cours qui s’améliore progressivement, expliquant ce changement de méthodologie. D’autres évolutions du calcul sont à prévoir ce qui peut rendre confuse l’analyse de la situation et la planification si les chiffres changent de manière significative. Cependant la complexité du sujet ne justifie pas que le gouvernement ne communique pas régulièrement sur cet enjeu.

Conclusion

Le manque de transparence sur la nouvelle stratégie bas carbone ainsi que sur le calcul de l’empreinte carbone sont représentatifs d’erreurs de communication de la part du gouvernement sur un sujet clef pour notre pays. Le budget carbone et l’empreinte carbone devraient déjà être des indicateurs à suivre avec plus d’attention non seulement par le gouvernement mais également par la population. Ces indicateurs sont surement plus importants à suivre aujourd’hui que la croissance du PIB qui n’a plus vraiment de sens.

Comme pour la crise du COVID-19, une communication peu transparente, voire malhonnête ne fait que des perdants. Les français ne sont pas des enfants à qui il faut cacher les secrets de famille honteux. Nos émissions ne baissent pas assez rapidement, c’est un fait que tous les français devraient savoir ! Ceci démontre une fois de plus que nos dirigeants n’ont pas pris la mesure de la situation et des dangers auxquels nous sommes déjà confrontés et qui ne vont qu’empirer. Les objectifs du SNBC 1 n’étaient pas réalistes, au regard des mesurettes que ce gouvernement et ses prédécesseurs ont pris, avec peu d’effet, par peur de trop bousculer un système en fin de vie et qu’ils tentent de faire perdurer par manque d’idées, de courage politique ou par souhait de maintenir un statu quo politico- financier à leur avantage (faites votre choix dans cette liste).

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